COP 21 Une opportunité historique pour favoriser l’égalité des sexes

Professeur Nezha Lahrichi
COP 21 Une opportunité historique pour favoriser l’égalité des sexes

Ce texte fixe,  à grands traits,  le cadre général du changement climatique pour mieux cerner les enjeux femmes / climat .Cette présentation est structurée en deux  parties : (i) l’enjeu historique de  la 21ème Conférence des Parties à la Convention Cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (COP21) qui se tiendra à Paris en décembre 2015; (ii) la femme et l’avenir de la terre.

Deux postulats sont à  rappeler:

  1.  Depuis la 1ière conférence de Rio en 1992 sur le Changement du climat , la responsabilité que porte le secteur de l’énergie est établie : le consensus scientifique attribue le changement climatique  aux émissions de gaz à effet de serre , résultat du mode de production et de consommation basé sur les énergies fossiles et la déforestation ; les conséquences sur l’augmentation des températures globales et le cortège des  catastrophes naturelles qui en résultent,  constituent des menaces pour la survie des éco systèmes avec des effets plus importants pour les plus démunis dont les femmes constituent la majorité
  2.  Ce modèle de développement a plus bénéficié aux pays industrialisés qui en  ont profité pendant que d’autres ont en subi les effets négatifs, a impliqué la prise en considération d’un principe directeur, celui de la responsabilité commune mais différenciée et l’engagement des pays développés à financer  et à soutenir les politiques de lutte contre le changement climatique.

La COP21 vise un accord mondial sur les réductions d’émissions des gaz à effet de serre afin de limiter le réchauffement  de la planète à 2 ° Celsius par rapport à l’ère préindustrielle ; L’accord de Paris ambitionne d’engager plus de 190 pays dans la lutte contre le réchauffement climatique à travers trois axes :

  • Un  recul progressif des  énergies fossiles et le développement des énergies renouvelables
  • Une accélération des progrès en matière d’efficacité énergétique.
  • Une modification de la gestion des terres notamment à travers la reforestation

L’enjeu est  aussi clair que complexe : il s’agit d’assurer la transition vers un développement sans carbone et donc un avenir sûr et durable pour la planète terre.

Le but est double : atteindre des objectifs nationaux de développement durable compatibles avec l’objectif internationalement convenu et ainsi participer aux efforts mondiaux de lutte contre le changement climatique

C’est pour dire que la conférence de Paris ambitionne d’apporter des réponses à  deux sujets :

1) A court terme,  l’annonce d’actions avant 2020.

2) A moyen et long terme,  la définition de trajectoires d’émissions de CO2 conduisant à un seuil zéro au niveau mondial en 2100, une façon de planifier l’avenir et de mettre en place le modèle de l’après  énergies fossiles

C’est pourquoi un certain nombre de conditions ont été réunies pour augmenter les chances de succès de cette conférence : au-delà des sessions de négociation et des rencontres informelles , deux initiatives méritent d’être soulignées : celle  d’avoir organisé le 6 juin une consultation planétaire pour recueillir  l’avis des citoyens du monde sur les sujets essentiels que les gouvernements vont traiter pour conclure un accord efficace sur le changement climatique ; elle est l’expression de  la volonté d’inclure la voix des  peuples dans l’accord : une consultation publique pour une prise de conscience du public.

La seconde initiative  vise l’adhésion et l’implication des entreprises à la décarbonisation de l’économie mondiale ; elle  concerne le sommet Business climat qui a été organisé au siège de l’UNESCO le 20 et 21 mai  2015; ce sommet a réuni 2000 décideurs internationaux économiques, politiques et des investisseurs

Lors de ce sommet  la bataille des idées a été  gagnée ;  une prise de conscience de la nécessité d’une croissance décarbonée  qu’il s’agit de stimuler par un prix efficace  du carbone, efficace, c’est-à-dire en mesure de réduire les émissions en étant accepté par l’opinion publique ( producteurs, , consommateurs,  financiers….), une prise de conscience qu’on est au début des vingt  années les plus importantes  pour impulser des changements structurels, or vingt ans en matière de développement relève du court terme d’où l’urgence de la question climatique et de la mobilisation même si l’urgence ne veut plus rien dire  dans la mesure où l’humanité est au seuil de l’irréversibilité.

L’ennemi étant identifié,  le carbone et son principal émetteur, une société bas carbone passe inéluctablement par une énergie bas carbone ; la transition écologique est une transition énergétique or le développement suppose une forte augmentation de la consommation  d’énergie qu’il s’agit de produire et de produire proprement ; accès à l’énergie signifie accès à l’éducation et au développement ,  la bataille de l’action  est à cette condition, une bataille qui associe la société civile, les entreprises,  les financiers et les  territoires , d’où les quatre volets prévus pour l’accord de Paris :

Un cadre contraignant universel mais différencié.

  • La présentation des stratégies nationales de chaque pays en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
  • La mise en œuvre de financements publics et privés avec des flux Nord- Sud.
  • L’agenda des solutions, un agenda des actions qui peuvent être apportées par tous les acteurs.

L’enjeu est  donc de taille : il s’agit d’une révolution dans le mode de production,  de consommation et de transport,  une révolution dans notre façon de vivre. Combinée, notamment,  à la révolution numérique, robotique et  biologique, elle est l’expression  d’une autre civilisation en émergence.

L’enjeu est double pour les économies en voie de développement qui doivent combiner la transition énergétique et économique ; aller directement vers un modèle de développement bas carbone est  une opportunité et non un risque sauf que cela suppose des soutiens financiers pour en minimiser le coût  qui maximise les bénéfices écologiques ! à titre d’exemple, remplacer le charbon des centrales thermiques par du gaz, réduit fortement les émissions de CO2, mais avec des investissements plus couteux.

Comment, alors, induire le changement de comportement de tous les acteurs ? Quelle est la part du chemin que chacun doit accomplir pour donner le bon signal ?

1) l’Etat doit mettre en place un cadre réglementaire dont le plus urgent  est celui qui fixe  le prix du carbone ; le marché des matières premières est instable et empêche la mise en œuvre des investissements nécessaires ;  le mécanisme de tarification du carbone doit être stable,  prévisible et incitatif ; au lieu d’une taxe, la préférence s’oriente vers la  définition d’un système d’échanges de droits d’émission basé sur le marché, un système qui permet l’acceptation du prix du carbone, l’attrait des capitaux et un retour sur investissement.

2) Pour les consommateurs,  la stimulation d’un comportement responsable dépend, certes, d’une politique de sensibilisation et de communication mais elle reste déterminée par la question du coût : une responsabilité trop chère payée  risque d’être contreproductive.

3) Concernant le financement, les fonds publics proviennent des pays développés et sont destinés aux PVD  à travers des mécanismes multilatéraux  qui proposent des financements climatiques : fonds vert pour le climat,  fonds pour l’environnement mondial (FEM), mécanisme de développement propre(MDP) de l’ONU, financements des banques de développement, etc.

Les fonds privés concernent la promesse faite en 2009 de rassembler 100 milliards de dollars par an d’ici à 2020 en faveur des PVD qui sont le plus touchés par le réchauffement ;   une somme qui représente peu par rapport aux importantes sommes consacrées aux subventions des énergies fossiles  mais  qui n’est toujours pas réunie alors qu’elle est nécessaire pour les actions à court terme

Pour les financiers, au-delà de ces  fonds publics  qui doivent jouer leur effet de levier pour atteindre les importants niveaux de financement nécessaires,  les structures financières actuelles  sont appelées à ne plus financer les projets à haute teneur en CO2 , à développer de nouveaux instruments pour l’investissement à faibles émissions en carbone comme les obligations vertes ou le financement participatif ; un enjeu délicat qui nécessite  des politiques dédiées ; le financement de la transition énergétique constitue un enjeu déterminant pour le succès de l’accord de la COP21

4) Les entreprises sont appelées  à s’inscrire dans le lancement du  processus de production faible en carbone or  ce processus suppose un changement des règles du jeu : les entreprises doivent accepter des investissements à long terme, se réinventer par le biais des technologies ,  intégrer le reflexe climatique, mais en même temps des changements  doivent s’opérer dans  les calculs, les horizons de rendement,  l’approche du risque, son évaluation , la fiscalité, les mesures incitatives,  la réglementation financière, la méthode d’affectation des ressources;  bref,  tout changer pour que rien ne change : maintenir la rentabilité des entreprises et  préserver leur compétitivité, une compétitivité à long terme qu’i faut apprendre à construire : une entreprise dans le rouge financier ne peut pas être dans le vert de la croissance et de l’investissement.

Le préalable est donc de redéfinir la prospérité et d’admettre qu’économie rime avec écologie,  décarboner et créer de la croissance génératrice d’emplois, d’innovation et de richesses  sont deux objectifs compatibles ; l’optimum économique est à redéfinir à travers la mise en œuvre de nouveaux outils de mesure qui peuvent améliorer la prise de décision économique et conduire à  de meilleurs choix politiques.

Tout cela suppose  une condition sine qua non, celle  de convaincre les actionnaires : d’où l’impératif d’augmenter le nombre de femmes dans les conseils d’administration car elles sont plus sensibles aux questions urgentes posées par le dérèglement climatique : éducation et avenir des enfants, meilleure santé, accès à l’eau, alimentation, bien être des vulnérables etc.

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La femme et l’avenir de la terre

 Un des défis de la COP 21 est de trouver la voie pour atteindre l’égalité des sexes dans les solutions de financement sachant que les divers mécanismes existants n’intègrent pas la dimension de genre pour que le financement soit équitable ; cela commence par reconnaitre que l’impact du changement climatique  est différencié sur les hommes et les femmes qui en ressentent plus les effets négatifs car elles constituent la majorité des plus démunis , lesquels seront plus affectés par le changement climatique.

Les femmes  sont vulnérables :  l’inégal accès à la santé, à l’éducation, à la prise de décision aux systèmes formels de financement sont connus et reconnus mais ce qui est moins mis en évidence ce sont leurs ressources pour  faire face au changement climatique  car elles occupent une position privilégiée pour en juguler les effets néfastes grâce à leur savoir-faire ancestral, leurs capacités créatives,  innovatrices, coopératives, organisatrices et  éducatives qui donnent envie du futur et ancrent le long terme dans le présent, ;  elles ne doivent pas être perçues comme des victimes mais comme des catalyseurs du changement économique, social et environnemental.

Le défi est donc d’intégrer une perspective genre dans les stratégies nationales et locales de lutte contre le dérèglement climatique( politiques, projets et financements liés au changement climatique ) et de mettre le climat pour et avec  les femmes au cœur des négociations internationales de la cop 21 à Paris ; au-delà, l’année 2015 est une opportunité historique pour intégrer l’égalité des sexes  et l’autonomisation des femmes dans l’effort pour promouvoir un développement durable : une année cruciale où le point sur les engagements de Pékin a été  fait 20 ans après,  lors de la 59ième session relative à la condition de la femme à New York (Mars 2015)  et où s’est tenu également  le sommet extraordinaire des Objectifs Millénaires de Développement ; le timing offre donc l’opportunité de ne pas rater un  rendez-vous avec l’histoire.

Mais intégrer une perspective genre, ce n’est pas seulement prendre en compte les besoins pratiques des femmes comme l’accès à l’eau, ou  les activités alternatives à l’utilisation du bois ou encore les cultures résistantes à la sécheresse mais surtout il s’agit de prendre en compte leurs besoins stratégiques  comme l’accès à la propriété foncière et la participation à la prise de décision à tous les niveaux publics et privés.

Le Maroc se prépare à accueillir la 22ème Conférence des Parties à la convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (COP22) en 2016: Si le Maroc reste un pays faiblement émetteur de gaz à effet de serre, il n’est pas à l’abri des conséquences du réchauffement climatique compte tenu de la communauté de destin de tous les pays.

Les acquis du Maroc pour donner l’exemple peuvent être illustrés par  quatre stratégies :

  1.  La présentation de sa contribution nationale à la  lutte contre les émissions de gaz à effet de serre ; il est le second pays africain à l’avoir fait dans le cadre de la préparation de la Cop  21.
  2.  La stratégie nationale de développement durable.
  3.  Une transition énergétique en marche où la priorité est donnée aux énergies renouvelables et à l’efficacité énergétique
  4. L’Initiative nationale pour le Développement Humain (INDH), un bon exemple de prise en compte de la dimension genre dans  la mesure où la moitié des bénéficiaires des projets réalisées sont des femmes soit plus de quatre millions.

Pour conclure je me permets de soumettre au lecteur mon angoisse en tant qu’économiste.  La science économique, malgré ses multiples limites, peut produire des statistiques relatives à la croissance, à l’emploi, aux émissions de CO2 etc. Mais elle ne peut donner qu’une vision approximative du futur, or trop de variables restent inconnues quant à l’évolution du  nécessaire changement structurel des modèles à l’œuvre. Des processus clés restent difficiles à saisir et trop de valeurs, telles que la santé des personnes ou la protection de l’environnement, restent difficiles à quantifier. Comme l’a dit un jour John Maynard Keynes,  « il vaut mieux avoir vaguement raison que précisément tort ».

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