De l’émergence au Développement inclusif: Un chemin possible

Professeur Nezha Lahrichi
De l’émergence au Développement inclusif: Un chemin possible

Le concept d’émergence est apparu dans les années 2000 alors que la mondialisation était dans tous ses états!

il s’est imposé depuis qu’un expert de Goldman Sachs a inventé l’acronyme BRIC pour désigner quatre pays à forte croissance en mesure de rattraper les économies dites avancées. La précédente façon de penser l’évolution des économies était de passer par le décollage économique pour mériter le titre de «Nouveaux Pays Industrialisés» (NPI), pays performants des années 1960-1970: Dragons (Corée du Sud, Singapour, Hong Kong,…) et tigres (Thaïlande, Malaisie, Indonésie,…). L’intensification du commerce par cercles autour du Japon, 1er miracle asiatique, s’est produite avec le 1er cercle des NPI lesquels ont industrialisé les économies du second cercle(1).
Les fondements de leur modèle de développement sont les mêmes: d’abord la création d’une demande intérieure à travers le développement d’une classe moyenne, la construction d’un système productif en mesure de conquérir le marché domestique et ensuite la conquête des marchés extérieurs. Une stratégie appuyée par un Etat fort qui a accordé une attention particulière à l’investissement dans le capital humain, ce qui a permis aux NPI de constituer une main-d’œuvre qualifiée, d’opérer une montée en gamme des productions industrielles et de délocaliser les activités bas de gamme.
En revanche, certains pays identifiés comme émergents ont une croissance tirée par les exportations grâce à une bonne compétitivité prix: main-d’œuvre peu qualifiée, faibles salaires, monnaies sous évaluées… Le critère d’ouverture est privilégié (FMI, Standars & Poor’s) pour accéder à l’émergence, un concept qui divise les économistes et les institutions (voir encadré) chacune disposant de ses critères de sélection et donc de sa liste de pays émergents avec des entrants et des sortants au gré des performances économiques et des changements politiques. Sans oublier que le périmètre incontournable comportait en plus de l’ouverture des marchés, les performances macro-économiques; mais dans un environnement mondial compliqué et changeant, la stabilité institutionnelle et politique constitue dorénavant le socle de l’émergence car elle est garante d’un climat des affaires favorable, d’un Etat solide qui remplit sa mission d’organisateur de la compétitivité globale de l’économie soit des réformes économiques et institutionnelles qui agissent sur les leviers de la croissance. Sauf que le critère d’une forte croissance sur le long terme n’est pas suffisant pour être caractérisé d’émergent comme l’illustre le cas de plusieurs pays africains qui ont connu des taux de croissance élevés pendant toute la décennie 2000 (Angola, Ghana, Mozambique, Tanzanie, etc.) alors que d’autres, au moment où ils sont qualifiés d’émergents, ont enregistré durant la même période des performances moindres (Afrique du Sud, Chili, Mexique).
D’où des approches plus sophistiquées comme l’indice de classement mondial de la compétitivité du WEF, une autre façon d’appréhender l’émergence. Cet indice intègre le concept de stade de développement par référence à la conception du développement comme processus historique passant par des étapes définies; le développement est tiré par la dotation naturelle en facteurs de production au cours du 1er stade, par l’efficience pour le 2e stade et par l’innovation lors du 3e stade, celui des pays avancés (voir tableau), notons que d’autres pays, asiatiques en l’occurrence, ont bien montré que le chemin de la croissance et du développement sont multiples.
Le Maroc a certes gagné cinq places et est classé 72e au lieu de 77e en 2013, mais le plus significatif est que lors de l’édition 2013, le Maroc figurait dans une phase transitoire entre le stade d’un pays en développement et le stade d’un pays émergent. Dans l’édition 2014, le Maroc a franchi cette étape et dispose des critères d’un pays émergent. Ainsi, notre indice de compétitivité devance celui de l’Inde, et se retrouve au même niveau que celui de la Chine et de l’Afrique du Sud et derrière celui de la Russie et du Brésil, selon la grille d’évaluation du WEF. A supposer que la question de l’émergence soit résolue, le défi est de passer l’émergence au développement; un développement équitable et inclusif; la réponse est apportée par les deux discours de Sa Majesté le Roi Mohammed VI  «et si le Maroc a connu des avancées tangibles, la réalité confirme que cette richesse ne profite pas à tous les citoyens». Discours de la fête du trône, 30 juillet 2014.
«Nous ne voulons pas d’un Maroc à deux vitesses: des riches qui bénéficient des fruits de la croissance et s’enrichissent davantage; et des pauvres restés en dehors de la dynamique de développement». Discours à l’occasion du 61e anniversaire de la révolution du Roi et du Peuple, 20 Août 2014. Il s’agit donc de faire évoluer notre pays vers une société plus égalitaire à travers une meilleure redistribution des richesses. L’analyse économique traditionnelle a longtemps considéré qu’une politique de développement devait se concentrer sur la croissance économique pour entraîner une élévation générale du niveau de vie, une politique redistributive pouvant nuire à l’épargne et à la croissance.
L’analyse récente tend, au contraire, à faire valoir que la croissance peut être favorisée par une politique de redistribution et de réduction des inégalités entre classes sociales et entre régions riches et pauvres; les conséquences bénéfiques sur le plan économique concernent, en particulier, le développement de la classe moyenne et la hausse de la productivité; la définition du processus des gains de productivité reste une question posée car au-delà du basculement de la richesse du Nord vers le Sud, la productivité de la main-d’œuvre dans les pays émergents est largement en deçà de celle des pays avancés; les éléments de réponse restent, de toute évidence, la valorisation du capital humain à travers des politiques d’éducation/formation adéquates et de santé efficaces avec une plus grande concentration sur la Recherche-Développement et l’innovation. En définitive, le défi reste l’identification des types de politiques de redistribution, l’évaluation de l’impact des ciblages possibles et le croisement éventuel des choix pour atteindre des objectifs raisonnables de bien-être social. Espérons une ouverture de débats et non de combats!

il s’est imposé depuis qu’un expert de Goldman Sachs a inventé l’acronyme BRIC pour désigner quatre pays à forte croissance en mesure de rattraper les économies dites avancées. La précédente façon de penser l’évolution des économies était de passer par le décollage économique pour mériter le titre de «Nouveaux Pays Industrialisés» (NPI), pays performants des années 1960-1970: Dragons (Corée du Sud, Singapour, Hong Kong,…) et tigres (Thaïlande, Malaisie, Indonésie,…). L’intensification du commerce par cercles autour du Japon, 1er miracle asiatique, s’est produite avec le 1er cercle des NPI lesquels ont industrialisé les économies du second cercle(1).

Les fondements de leur modèle de développement sont les mêmes: d’abord la création d’une demande intérieure à travers le développement d’une classe moyenne, la construction d’un système productif en mesure de conquérir le marché domestique et ensuite la conquête des marchés extérieurs. Une stratégie appuyée par un Etat fort qui a accordé une attention particulière à l’investissement dans le capital humain, ce qui a permis aux NPI de constituer une main-d’œuvre qualifiée, d’opérer une montée en gamme des productions industrielles et de délocaliser les activités bas de gamme.
En revanche, certains pays identifiés comme émergents ont une croissance tirée par les exportations grâce à une bonne compétitivité prix: main-d’œuvre peu qualifiée, faibles salaires, monnaies sous évaluées… Le critère d’ouverture est privilégié (FMI, Standars & Poor’s) pour accéder à l’émergence, un concept qui divise les économistes et les institutions (voir encadré) chacune disposant de ses critères de sélection et donc de sa liste de pays émergents avec des entrants et des sortants au gré des performances économiques et des changements politiques. Sans oublier que le périmètre incontournable comportait en plus de l’ouverture des marchés, les performances macro-économiques; mais dans un environnement mondial compliqué et changeant, la stabilité institutionnelle et politique constitue dorénavant le socle de l’émergence car elle est garante d’un climat des affaires favorable, d’un Etat solide qui remplit sa mission d’organisateur de la compétitivité globale de l’économie soit des réformes économiques et institutionnelles qui agissent sur les leviers de la croissance. Sauf que le critère d’une forte croissance sur le long terme n’est pas suffisant pour être caractérisé d’émergent comme l’illustre le cas de plusieurs pays africains qui ont connu des taux de croissance élevés pendant toute la décennie 2000 (Angola, Ghana, Mozambique, Tanzanie, etc.) alors que d’autres, au moment où ils sont qualifiés d’émergents, ont enregistré durant la même période des performances moindres (Afrique du Sud, Chili, Mexique).
D’où des approches plus sophistiquées comme l’indice de classement mondial de la compétitivité du WEF, une autre façon d’appréhender l’émergence. Cet indice intègre le concept de stade de développement par référence à la conception du développement comme processus historique passant par des étapes définies; le développement est tiré par la dotation naturelle en facteurs de production au cours du 1er stade, par l’efficience pour le 2e stade et par l’innovation lors du 3e stade, celui des pays avancés (voir tableau), notons que d’autres pays, asiatiques en l’occurrence, ont bien montré que le chemin de la croissance et du développement sont multiples.
Le Maroc a certes gagné cinq places et est classé 72e au lieu de 77e en 2013, mais le plus significatif est que lors de l’édition 2013, le Maroc figurait dans une phase transitoire entre le stade d’un pays en développement et le stade d’un pays émergent. Dans l’édition 2014, le Maroc a franchi cette étape et dispose des critères d’un pays émergent. Ainsi, notre indice de compétitivité devance celui de l’Inde, et se retrouve au même niveau que celui de la Chine et de l’Afrique du Sud et derrière celui de la Russie et du Brésil, selon la grille d’évaluation du WEF. A supposer que la question de l’émergence soit résolue, le défi est de passer l’émergence au développement; un développement équitable et inclusif; la réponse est apportée par les deux discours de Sa Majesté le Roi Mohammed VI  «et si le Maroc a connu des avancées tangibles, la réalité confirme que cette richesse ne profite pas à tous les citoyens». Discours de la fête du trône, 30 juillet 2014.
«Nous ne voulons pas d’un Maroc à deux vitesses: des riches qui bénéficient des fruits de la croissance et s’enrichissent davantage; et des pauvres restés en dehors de la dynamique de développement». Discours à l’occasion du 61e anniversaire de la révolution du Roi et du Peuple, 20 Août 2014. Il s’agit donc de faire évoluer notre pays vers une société plus égalitaire à travers une meilleure redistribution des richesses. L’analyse économique traditionnelle a longtemps considéré qu’une politique de développement devait se concentrer sur la croissance économique pour entraîner une élévation générale du niveau de vie, une politique redistributive pouvant nuire à l’épargne et à la croissance.
L’analyse récente tend, au contraire, à faire valoir que la croissance peut être favorisée par une politique de redistribution et de réduction des inégalités entre classes sociales et entre régions riches et pauvres; les conséquences bénéfiques sur le plan économique concernent, en particulier, le développement de la classe moyenne et la hausse de la productivité; la définition du processus des gains de productivité reste une question posée car au-delà du basculement de la richesse du Nord vers le Sud, la productivité de la main-d’œuvre dans les pays émergents est largement en deçà de celle des pays avancés; les éléments de réponse restent, de toute évidence, la valorisation du capital humain à travers des politiques d’éducation/formation adéquates et de santé efficaces avec une plus grande concentration sur la Recherche-Développement et l’innovation. En définitive, le défi reste l’identification des types de politiques de redistribution, l’évaluation de l’impact des ciblages possibles et le croisement éventuel des choix pour atteindre des objectifs raisonnables de bien-être social. Espérons une ouverture de débats et non de combats!

L’émergence, un concept à géométrie variable

La liste des pays émergents change en fonction de l’institution qui l’établit; trois exemples:
1- L’OCDE retient six pays qualifiés de BRIICS: Brésil, Russie, Inde, Indonésie, Chine & Afrique du Sud.
2- PricewaterhouseCooper (PwC) identifie quatre pays émergents en plus des BRICS: Mexique, Indonésie, Turquie et Pologne. Les facteurs de croissance à long terme retenus sont: l’augmentation de la population en âge de travailler (aubaine démographique)  le niveau d’éducation de la population actuelle; les investissements et la productivité globale des facteurs.
3- La Coface identifie aussi quatre pays: la Colombie, l’Indonésie, le Pérou et les Philippines. Les critères retenus pour caractériser une économie émergente : une croissance forte, stable et durable; un certain degré de diversification économique; un Etat sain; un risque souverain sous contrôle; une stabilité politique accrue et une amélioration de la gouvernance et de l’environnement des affaires. L’approche reste donc polarisée sur le risque crédit.

Stades de développement selon le WEF

1er stade: le développement est tiré par les facteurs de production et la compétitivité dépend de la dotation en facteurs (main-d’œuvre non qualifiée et ressources naturelles, principalement).
– 2e stade: le développement est tiré par l’efficience; à mesure que le développement engendre une hausse des salaires, les pays doivent alors commencer à instaurer des processus de production plus efficients et à améliorer la qualité de leurs produits, de façon à rester compétitifs.
– 3e stade: le développement est tiré par l’innovation; quand les pays atteignent ce stade, ils ne peuvent assurer des salaires plus élevés avec le niveau de vie correspondant, que si leurs entreprises sont à même de rivaliser avec leurs concurrents en proposant des produits nouveaux et différenciés. A ce troisième stade, leur compétitivité repose sur la production de produits nouveaux et différents grâce à la mise en œuvre des processus les plus sophistiqués.

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(1) Nezha LAhrichi: La crise asiatique: Quel cheminement de la confiance à la défiance? in Publications de l’Académie du Royaume du Maroc, session 1: Pourquoi les dragons d’Asie ont-ils pris feu? mai 1998-

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