Le Maroc, Acteur Clé du Développement en Afrique
Intervention lors de la rencontre du Cercle des économistes (français) organisée à Casablanca le 10 Avril 2014 sur le thème « l’avenir du monde est-il africain ? »
En quoi le Maroc est un acteur clef ?
Un peu d’histoire en guise d’introduction avant de présenter les atouts majeurs du Maroc et sa nouvelle politique Africaine.
Un peu d’histoire ce n’est pas pour romantiser ce qui est loin, l’histoire dit-on, c’est prendre rendez-vous avec l’avenir, sauf que pour le Maroc l’avenir est en train d’avoir lieu.
Un peu d’histoire pour produire du sens à l’approfondissement des relations du Maroc avec les pays d’Afrique subsaharienne depuis le début de la décennie 2000.
Généralement revisiter l’histoire des relations entre le Maroc et l’Afrique subsaharienne revient à mettre l’accent sur le commerce caravanier, l’islamisation et les confréries soufies qui ont joué un rôle déterminant dans cette islamisation.
Pour certains historiens jusqu’au XIIème siècle, l’islamisation fût une manière pour légitimer religieusement des relations commerciales bien structurées puisque l’Islam s’est propagé en Afrique de l’Ouest par les commerçants en suivant les routes caravanières.
Le Maroc est le seul pays du Maghreb qui a eu des relations multiséculaires avec l’Afrique subsaharienne grâce à ces routes caravanières qui partaient du Maroc, en particulier de la ville de Sijilmassa dans le Tafilalt, qui était le passage obligé de toutes les caravanes .Cette position s’explique par l’abondance de l’eau et par sa situation géographique, au carrefour de plusieurs pôles commerciaux de la région, Fès, Tanger, Ouarzazate, Kairouen en Tunisie et des villes au sud de la Mauritanie.
Ce commerce fructueux, et important pour son époque, coïncide avec la naissance de la dynastie chérifienne en 788. Du nord venaient les produits de luxe, d’artisanat et d’usage (ustensiles, couteaux,…), les chevaux et les livres et donc des idées. Du sud venaient l’or, les céréales, les plumes d’oiseaux, les peaux et les esclaves.
Une partie de ces produits transitait par le Maroc mais étaient originaires aussi d’Europe. Donc le Maroc, pont entre le monde méditerranéen et l’Afrique subsaharienne remonte au VIIIème siècle !
Dès le Xème siècle, les routes transsahariennes étaient bien établies ; au XIIème siècle une grande voie de commerce relie l’Espagne musulmane au Niger, et au XIIIème siècle apparait une nouvelle route vers le Sahara central à partir de Sijilmassa, avec la naissance de l’empire du Mali (XIIIème-XVIème siècle).
Par la suite les grands axes transsahariens se sont effacés au profit de pistes orientales qui conduisaient en Libye ou en Egypte. Mais surtout avec la découverte des rivages atlantiques et du golfe de Guinée, le littoral a détourné une partie du commerce transsaharien.
Ce bref aperçu des relations commerciales entre le Maroc et l’Afrique noire démontre l’importance du rôle d’accompagnement historique du Maroc auprès de ses voisins Africains. Ses liens séculaires reposent sur des fondements économiques et culturels, que l’histoire récente ne fait que ressusciter.
1.Les atouts du Maroc et ses choix stratégiques
Le premier élément des atouts du Maroc est la stabilité des institutions et à leur tête l’institution monarchique, une composante forte de l’identité du Maroc et de l’unité des marocains la monarchie marocaine assure une vision à long terme avec des options stratégiques dans la durée : l’ancrage du Maroc dans la démocratie, la liberté et les droits de l’homme d’une part et la modernisation compétitive de l’économie d’autre part et ce à travers des réformes globales et des politiques sectorielles ; le souci de concilier exigences économiques et maintien des équilibres sociaux est constant. L’engagement personnel de sa majesté le Roi contre l’exclusion et la pauvreté en est la meilleure illustration.
La stabilité institutionnelle est un facteur qu’on peut qualifier de « Compétitivité absolue » du Maroc. La nouvelle situation qui découle des changements politiques et sociaux du printemps arabe l’illustre parfaitement et parler de l’exception marocaine devient un lieu commun.
Cet atout fondamental étant posé, notre intervention s’articule autour de la réponse que le Maroc apporte au processus historique de redistribution des richesses et du poids économique de chaque pays ou groupement de pays.
Cette réponse consiste à exploiter sa position géostratégique et devenir une plateforme d’investissement et d’exportation au carrefour des marchés Européen, Américain et Africain.
Les clés de succès pour renforcer l’attractivité de l’économie marocaine concerne un processus d’ouverture réfléchie et les choix stratégiques pour accompagner cette ouverture.
2.Un processus d’ouverture réfléchi
Le Maroc est engagé depuis 1987 dans un processus de libéralisation multilatérale, dans le cadre de l’OMC, et bilatérale dans le cadre de l’accord d’association avec l’Union Européenne mis en œuvre depuis 2000 mais le processus s’est accéléré en 2004 par la signature de trois accords de libre-échange :
- Février : accord quadrilatéral dit « d’Agadir » qui regroupe la Tunisie, l’Egypte, la Jordanie et le Maroc
- Mars : accord avec les EU
- Avril accord avec la Turquie.
Il s’agit de plusieurs processus concomitants : multilatéraux, bilatéraux Nord/Sud et Sud/Sud, le soubassement étant l’émergence des blocs régionaux comme passage obligé du processus de mondialisation ; en particulier l’ancrage à l’Europe passe par la capacité à forger des intégrations sous régionales et à exploiter le fort potentiel de la coopération Sud/Sud.
Ainsi le Maroc opte pour une attractivité qui n’est pas lié seulement au cout du travail mais aux débouchés et aux marchés. Les ALE donnent accès à un milliard de consommateurs situés dans 55 pays !
L’ALECA, accord de libre-échange complet et approfondi, en cours de négociation avec l’UE et issu du statut avancé va au-delà de la libéralisation des échanges commerciaux et vise une intégration économique plus étroite de l’économie marocaine dans le Marché européen, notamment par la libéralisation des services et une protection accrue des investissements. L’adoption d’un cadre réglementaire proche des standards européens est de nature à accroitre l’attrait des IDE.
Cette nouvelle génération d’accords de libre échange est proposée aux partenaires qui ont choisi la voie des réformes. C’est précisément le cas du Maroc qui a fait des choix stratégiques pour accompagner l’ouverture
3.Les choix stratégiques pour accompagner l’ouverture
a.l’équipement du pays en infrastructures
les grands chantiers concernent les ports : Tanger Med, une infrastructure de classe mondiale et 11 ports d’activité commerciale, 15 aéroports internationaux, un réseau autoroutier de 1500 km reliant plusieurs villes, un réseau ferroviaire avec le projet du TGV Tanger-Casablanca, le premier en Afrique prévu pour 2015, un réseau de télécommunication développé et classé deuxième en Afrique. L’introduction de la 4e génération des réseaux mobiles est prévue pour 2015 ainsi que le lancement du chantier de la fibre optique.
A cela il faut ajouter la mise en œuvre en 2010 d’une stratégie logistique avec la création d’une agence dédié AMDL. : Agence Marocaine de développement de la logistique
Il s’agit d’établir notamment un réseau intégré de 70 zones logistiques dans 18 villes, de mettre à niveau et de réguler le transport routier et d’établir un plan national de formation dans le métier de la logistique. L’indice de performance logistique de la Banque Mondiale classe le Maroc en 2012 au 50e rang sur 155 pays alors qu’il était au 94ième rang en 2007.
b.La consolidation du cadre macroéconomique
- Une croissance soutenue de l’ordre de 4,6% en moyenne par an sur la période 2006-2012 contre 3,8% entre 1999-2005.
- La part de l’investissement dans le PIB a atteint 30,7% contre 26% respectivement pour les mêmes périodes.
- L’inflation est maitrisée et le déficit public est à un niveau soutenable
En revanche la balance des paiements présente un solde courant négatif depuis la crise internationale (10% du PIB en 2012), notamment à cause du déficit commercial dû à la forte augmentation des importations et au renchérissement du prix du pétrole
c.Les politiques sectorielles
Le Maroc a mis en place plusieurs stratégies sectorielles[1] visant la modernisation de son économie et le renforcement d’une croissance hors agriculture ; il s’agit de 12 stratégies, notamment celle du plan Maroc Vert, de la stratégie nationale de l’émergence industrielle, des visions 2010-2020 pour le tourisme, de la stratégie énergétique…Ces stratégies visent à consolider la position du Maroc en tant que plateforme de production et d’exportation.
Il est difficile dans le cadre d’une intervention de présenter les objectifs et les réalisations de ces plans ; l’élément important qui mérite d’être souligné concerne la nouvelle impulsion donnée à la stratégie industrielle en liaison avec la nouvelle stratégie énergétique, non seulement parce qu’elle est le corollaire de la dynamique sectorielle pour accompagner la forte demande énergétique, mais parce qu’elle s’inscrit dans les orientations de la nouvelle stratégie industrielle, dans la mesure où la mise en place des filières solaires et éolienne prend en considération le potentiel prometteur d’intégration ; en effet la nouvelle politique industrielle vise deux objectifs majeurs, l’intégration du tissu productif avec une montée en valeur dans les filières industrielles et le transfert de technologie pour dépasser le stade de la sous traitance.
Dans la nouvelle stratégie énergétique, la priorité est donnée aux énergies renouvelables et à l’efficacité énergétique. Les capacités à mettre en place à l’horizon de 2016 sont évaluées à 4500 MW dont 500 MW pour la centrale d’Ouarzazate.
400M W pour la centrale d’Ain Bani Mathar. La puissance installée des différents parcs éoliens sera de l’ordre de 1000MW. Les énergies renouvelables vont donc représenter 42% de la puissance installée en 2016.
Quant à la rationalisation de la consommation énergétique, elle vise une économie de 12% en 2020 et 15% en 2030. Des plans d’actions d’éfficacité énergétique dans tous les secteurs dont le secteur agricole qui a bénéficié, notamment, d’un programme national de développement des pompes agricoles photovoltaïques pour pallier l’utilisation pour le pompage du gaz butane, produit social fortement subventionné.
Le Maroc ambitionne de pérenniser le développement des énergies renouvelables et le renforcement de l’efficacité énergétique. L’innovation, la formation et la maitrise des technologies sont des conditions sine qanun. La création des instituts de formation dans les métiers des énergies renouvelables et la société d’investissements énergétiques répondent à ces préoccupations
d.La nouvelle politique africaine : de la diplomatie d’influence à la diplomatie économique
Les vecteurs de la diplomatie d’influence sont connus, attractivité et capacité à projeter des valeurs en font partie tout comme la cohérence des politiques dans les organisations régionales et internationales : « L’objectif étant la consolidation des relations politiques ». Quelques exemples pour illustrer :
- Le Maroc s’est érigé en porte-parole des pays endettés et en animateur des PMA africains par l’ouverture unilatérale du marché marocain à ces pays et l’abolition de leur dette.
- le Maroc pays d’accueil du siège de la BAD et plus récemment celui de la Conférence des Etats Africains Riverains de l’Atlantique ;
- multiplication des ouvertures d’ambassades sur le continent et accueil d’ambassades sur le sol marocain ;
- L’accueil des étudiants africains et donc la participation à la formation des futures élites ;
- Les liens spirituels se sont renforcés à la faveur de l’Aura religieuse du Roi dans les pays musulmans et du financement et la construction de grandes mosquées dans des capitales comme Nouakchott, Dakar et Bamako.
La nature de cette diplomatie, qui par définition se fait par élans successifs évoluera vers une diplomatie économique en mesure d’assurer une constance dans les relations avec le continent.
C’est dans ce cadre que s’inscrit la nouvelle politique africaine du Maroc fondée sur des liens économiques équilibrés. Pour beaucoup d’observateurs, il s’agit d’un pari économique. La nouvelle stratégie est certainement audacieuse et s’appuie sur une bonne compréhension des enjeux continentaux mais elle est le fruit d’une démarche au service d’une vision.
La vision stratégique de faire du Maroc une plateforme à la croisée des continents se traduit par la priorité de faire de notre pays la porte d’entrée sur l’Afrique subsaharienne tout en faisant de ce continent sa nouvelle frontière de développement
Cette vision s’appuie sur une démarche qui a fait émerger un cercle vertueux : les atouts du Maroc liés à ses réformes structurelles multidimensionnelles inspirent les pays subsahariens et donnent de la crédibilité aux actions du Maroc dans ces pays et en même temps ses succès sur le continent valorisent davantage ces atouts et enclenchent une dynamique pérenne.
La démarche est la suivante :
- Dans une 1ère étape, l’Etat stratège joue son rôle de locomotive et impulse une dynamique à travers les entreprises publiques, organise les moyens de financement et l’élargissement de la bancarisation par la présence des trois plus grandes banques marocaines, devenues les 1ers acteurs des systèmes bancaires de l’UEMOA, il pose ainsi les jalons de l’intégration financière; le projet de Casa Finance City en est un des instruments.
Le financement étant une des clés de succès, le Maroc suscite une stratégie de coopération triangulaire avec des pays comme la France, la Belgique, le Japon ou des agences de développement. Le principe est de conjuguer les financements du Nord à l’expertise et le savoir-faire du Sud. L’objectif étant de soutenir une stratégie volontariste de réalisation conjointe de projets structurants et de permettre aux entreprises marocaines d’avoir une croissance externe.
- La 2ème étape de la démarche : l’Etat joue son rôle de coach et de facilitateur pour le secteur privé.
La dernière tournée Royale en mars 2014 est emblématique à cet égard ; la délégation comprenait en plus des banques et des grands acteurs publics comme l’OCP, l’ONCF, la RAM, les représentants de groupes privés opérant dans des secteurs diversifiés : assurance, complexes hôteliers, construction et promotion immobilière, ciment, mines, énergies, génie civil, agro-alimentaire, pêche etc.…
Les 1ers frémissements de cette nouvelle politique augurent d’un avenir prometteur. L’Afrique est la destination privilégiée des IDE du Maroc, particulièrement dans l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique Centrale. Le Maroc est le 2ème investisseur dans les pays subsahariens après l’Afrique du Sud, avec un stock de près de 8 milliards de DHS qui pour le moment concernent les banques, les télécommunications, les mines, le transport aérien et l’habitat économique.
Les exportations du Maroc en Afrique subsaharienne sont marquées par une forte accélération depuis 2007 et ont représenté en 2012 7% du total des exportations marocaines contre1,5% au début de la décennie. L’objectif est d’arriver à 20% en 2018.
D’une façon plus générale, les échanges commerciaux ont presque
quintuplés en une décennie, mais restent largement en deçà de leur potentiel.
- La 3ème étape concerne l’objectif rêvé de l’intégration régionale ; tout en approfondissant ses relations bilatérales, le Maroc œuvre pour des accords commerciaux avec des zones économiques comme l’illustre le projet de l’accord avec l’UEMOA[2] pour lequel les dernières réserves à sa ratification sont en cours de négociation
Conclusion : le Maroc catalyseur de la politique africaine des pays
Capitaliser sur l’expérience marocaine dans le cadre du partenariat triangulaire est une piste à approfondir. Le Maroc a démontré que le
co-développement n’est pas un effet d’annonce, que le partenariat est fondé sur la valeur ajoutée partagée, la loi PPP en cours d’adoption garantit un mode de coopération gagnant/gagnant autant de réalités alimentant la confiance dans l’avenir.
[1] Avec le Plan Maroc Vert l’agriculture a enregistré un nouvel élan le PIB agricole s’est amélioré de 39% en 5 ans.
Le plan national de l’émergence industrielle a identifié des secteurs moteurs à l’export qualifiés de métiers mondiaux du Maroc dont l’industrie automobile qui a réalisé le plus grand projet en Afrique et dans le monde Arabe « Renault-Tanger »
Quant à l’industrie Aéronautique, la présence de grands groupes tels que EADS, SAFRAN, Boeing, et plus récemment BOMBARDIER traduisent la nouvelle dynamique du secteur.
[2] Zone de libre-échange entre 8 pays avec 96 millions d’habitant en 2013 : Benin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée Bissou, Mali, Niger, Sénégal, Togo
http://lematin.ma/journal/2014/tribune_le-maroc-acteur-cle-du-developpement-en-afrique/200652.html