La guerre des monnaies, un enjeu politique.

Professeur Nezha Lahrichi
La guerre des monnaies, un enjeu politique.

Le pari de la sortie de crise de 2008 semblait gagné et un cercle vertueux de la croissance enclenché, une perspective qui doit être nuancée à l’aune des turbulences monétaires pourtant sous- jacentes à toutes les politiques dites » non conventionnelles » (en réalité, il s’agit de la « planche à billets »).

Aujourd’hui, le consensus d’une croissance de la Chine de 6-7% est remis en cause car les politiques de relance n’ont pas produit leurs effets: baisse des taux d’intérêts, plans d’investissements publics, forte hausse des salaires nominaux… D’où l’appel à la relance des exportations via le taux de change.

La dévaluation du Yuan a réactivé les débats sur le statut privilégié du Dollar. La Chine, 2e puissance mondiale, souhaite voir sa monnaie jouer un plus grand rôle. L’internationalisation d’une monnaie constitue un saut considérable, la Chine s’y prépare méthodiquement. En attendant, une moindre dépendance vis-à-vis du dollar est souhaitée à travers l’introduction du yuan et d’autres monnaies dans le panier de la super monnaie du FMI (DTS)
La Chine veut réorienter sa croissance vers son marché intérieur, ce qui est étroitement lié à la question monétaire. En effet il a été reproché à la Chine de sous-évaluer sa monnaie. L’appréciation du Yuan a été lancée en 2005, suspendue pendant la crise entre 2008 et 2010 et reprise en 2010. Elle sert l’objectif du rééquilibrage de la croissance dans la mesure où une monnaie forte est un rempart contre l’inflation mais ce n’est pas un mécanisme suffisant. La hausse des salaires (14% en moyenne par an depuis près de deux décennies) complète le dispositif du développement du marché intérieur et ouvre la voie à la réduction, à moyen/long terme, des surplus commerciaux : un excédent extérieur important et durable est l’expression d’une incapacité à faire profiter l’économie domestique des fruits de la croissance.

L’inquiétude des autorités chinoises et la relance via le Yuan ne doivent pas occulter l’ambition de faire jouer à leur monnaie un rôle international. Pour favoriser le statut de monnaie de réserve , la chine accumule des stocks d’or physique à travers sa propre production et des importations massives; à ce propos, un rappel historique mérite d’être souligné : en 1945, les accords de Bretton Woods avaient fixé le cours du dollar par rapport au métal jaune (35 Dollars l’once) mais n’avaient pas imposé sa convertibilité en or ; C’est par une décision unilatérale, en 1948, que les Etats Unis ont annoncé la convertibilité du dollar en or ; la suite est connue : offre abondante de dollars, suppression de la convertibilité et changes flottants.
Mais le yuan n’est pas le seul candidat à remettre en cause l’hégémonie du dollar ; l’euro dispose d’un certain nombre d’atouts : poids économique et commerciale de la zone euro et diversification des avoirs en devises de plusieurs banques centrales notamment mais il faut des euro bonds en mesure d’inspirer la confiance du dollar ; aujourd’hui la priorité est la croissance dans la zone euro, d’où l’assouplissement de la politique monétaire de la BCE et une dépréciation de l’Euro à l’instar des politiques menées par les Etats Unis sauf que lorsqu’une monnaie s’affaiblit, l’autre se renchérit. Deux questions se posent : à court terme, quel est le seuil de hausse du dollar qui sera accepté par les Etats Unis ? À moyen terme, quel est le scenario monétaire le plus probable ? Un ordre monétaire multilatéral ou une monnaie internationale (DTS) émise par une institution internationale (FMI) ?

Les Marocains directement concernés ?

Le Maroc a opté pour un rattachement pluri-monétaire du dirham avec le souci de minimiser l’incidence des changements de parité. Le nouveau panier de devises (60% pour l’Euro et 40% pour le Dollar) atténue la volatilité du dirham.
La dépréciation de l’Euro par rapport au dollar se traduit par une dépréciation de l’Euro par rapport au DH de moindre ampleur avec le nouveau panier qu’avec l’ancien (l’Euro comptait pour 80%). Mais la hausse du DH gène notre compétitivité. En outre le Maroc a adopté le paiement en Yuan des transactions commerciales avec la Chine et s’est engagé à promouvoir le Yuan comme devise de référence dans les échanges sino-africains. En contrepartie, la Chine va favoriser l’utilisation de produits et services libellés en Yuan.

En définitive, le Maroc est concerné par les stratégies des trois acteurs qui déterminent l’avenir de l’économie mondiale ; la politique monétaire, qui tend à se substituer à la politique budgétaire (tant les marges de manœuvre du budget se sont réduites), soulève des questions qui doivent transparaitre dans les débats politiques. Indolores, inodores, ces questions ne suscitent pas autant d’émotions et de réactions que les questions budgétaires mais leurs effets sur le citoyen sont similaires.

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