Le dirham flexible: pour en faire quoi?
La quasi-stabilité de la valeur du dirham depuis la mise en œuvre de la réforme reflète l’efficacité de la stratégie de communication et son impact sur les anticipations des acteurs économiques.
L’élément vraiment nouveau aujourd’hui est que le risque de change est dorénavant supporté par les agents privés et non par la Banque centrale. Un coût supplémentaire pour les entreprises qui peut être réduit par la concurrence et l’ouverture aux opérations de couverture à d’autres opérateurs comme les compagnies d’assurance-crédit ou la Bourse des valeurs.
Il s’agit d’une phase transitoire de flexibilisation qui ne devrait pas poser de problème à court terme puisque la Banque centrale assure une valeur du dirham dans la bande de fluctuation définie.
A moyen terme le défi est d’éviter que le cours s’installe en dépréciation, ce qui obligerait à un engagement continu de la Banque centrale; ce qui rapidement dicterait un élargissement de la bande de fluctuation. Ce n’est pas souhaitable car il est préférable de maîtriser l’élargissement progressif.
L’idée est d’évoluer vers un libre cours du dirham en vertu de la loi de l’offre et de la demande avec la suppression de l’ancrage au panier de devises. Mais pour cela il faut continuer à assurer les prérequis dont un taux de change adéquat. La définition d’un taux de change optimal n’est pas simple dans la mesure où une monnaie ne doit être ni appréciée ni dépréciée mais constamment alignée avec les fondamentaux: croissance économique, inflation, niveau de déficit budgétaire, solde de la balance des paiements… Le taux de change doit donc refléter la réalité de l’état de santé de l’économie.
L’estimation des coûts et bénéfices des différents régimes de change est une question majeure.
Deux éléments d’appréciation des régimes de change:
1- Le régime de change fixe implique l’intervention de la Banque centrale pour influencer la valeur externe de la monnaie. Dans ces conditions, la politique monétaire défendra le taux pour atténuer le risque de change, pour favoriser l’investissement et drainer des capitaux étrangers; elle évitera un accroissement de la dette externe et assurera la soutenabilité du déficit budgétaire. Plus complexe: elle devra empêcher la hausse du déficit commercial qui viendrait du renchérissement des importations qui représentent dans notre pays la moitié des intrants du système productif.
Ce sont là autant d’effets négatifs d’une dépréciation du dirham.
Inversement, l’appréciation du taux de change impactera la compétitivité des entreprises, rendra notre tourisme moins attractif et pourrait ralentir les transferts des Marocains résidents à l’étranger. Mais tout dépend du degré de transmission des variations du taux de change aux prix.
2- La flexibilisation du dirham prépare le terrain à la libéralisation du mouvement des capitaux; la libéralisation de la réglementation des changes concerne les opérations dites courantes comme les importations et exportations, le transport, les assurances, les voyages, l’assistance technique, etc. Cette convertibilité des transactions courantes a été ouverte en 1993 après le programme d’ajustement structurel et le rétablissement d’équilibres internes et externes soutenables. En outre, les investisseurs étrangers peuvent transférer les revenus de leurs investissements et surtout retransférer le capital investi y compris les plus-values de cession. Seule l’exportation de l’épargne des résidents au Maroc n’est pas libéralisée sauf pour les investisseurs marocains à l’étranger dans des limites fixées par l’Office des changes.
L’extension de la convertibilité du dirham aux opérations en capital pour les résidents (le transfert de fonds à partir du Maroc et la constitution d’avoirs à l’étranger) dépendra du renforcement des performances de l’économie marocaine, de la taille qu’elle aura atteint, des chocs exogènes possibles… cette séquence ultime soulève une question centrale: comment adapter la flexibilité de change à la convertibilité du dirham?
Comment ça marche?
La politique de change repose sur deux instruments:
1- Le régime de change soit la manière de calculer le prix des monnaies les unes par rapport aux autres;
2- La réglementation des changes qui concerne les règles appliquées à l’achat/vente de devises/ les cas dans lesquels on peut ou on ne peut pas acheter ou vendre ces devises.
Le Maroc a adopté un régime de change fixe à ancrage souple (voir document de la Banque centrale présenté au Parlement le 17 janvier 2018), mais il a fortement réduit le contrôle des changes avec le souci de limiter l’exportation de capitaux à des objectifs précis et autorisés. Ainsi l’épargne des Marocains est-elle réservée aux besoins de financement de l’économie nationale.
Un peu d’histoire: après avoir rattaché le dirham au franc français en 1959 selon une parité fixe, l’Etat opte, en 1973 et jusqu’au 12 janvier 2018, pour une cotation basée sur un panier de devises. Ce sont les devises des principaux partenaires commerciaux, pondérées par leur importance dans les échanges. La composition du panier a connu plusieurs réaménagements avant d’arriver en 2001 à une structure autour de deux devises-clés: l’euro (80%) et le dollar (20%) dont les pondérations ont été révisées en 2015: 60% pour l’euro et 40% pour le dollar. La décision du 12 janvier 2018 maintient cette composition et cet ancrage; elle a concerné uniquement l’augmentation de la bande de fluctuation de la parité du dirham de 0,6% à 5% (+ ou – 2,5%) .
A quand la liberté de transferts
Le régime de change évoluera de la fixité jusqu’au jeu de l’offre et de la demande de devises sur le marché des changes. La flexibilité gérée d’aujourd’hui est un régime intermédiaire. Mais les interdictions de transferts demeurent.
Le maintien des restrictions au niveau des transferts de capitaux pour les résidents a laissé une marge de manœuvre pour concilier les objectifs internes et externes de la politique monétaire.
Les conditions objectives de la convertibilité du dirham sont difficiles à définir car le temps des résultats des transformations structurelles reste incertain; l’incertitude caractérise aussi et surtout l’environnement international malgré une reprise économique cette fois-ci synchronisée au niveau mondial. Il y a deux indicateurs de vulnérabilité: l’augmentation du taux d’endettement privé et public en particulier et la persistance des politiques monétaires accommodantes, ce qui fabrique des bulles avec risques d’éclatement financier. Malgré la succession des crises et la gravité de celle de 2007/2008, la question de leur récurrence reste posée, au niveau mondial.
L’agence casablancaise de Bank Al-Maghrib: pour l’instant les transferts restent comme
ils étaient, sous un contrôle strict mais avec des possibilités élargies (Ph. L’Economiste)