Le Moment populiste du Maroc (III): Démocratie en crise et populisme dans le monde
Une série d’articles sur le moment populiste du Maroc. Après l’article intitulé « Pouvoir et religion: la spécificité marocaine« , puis l’article sur « Le PJD : du radicalisme à la normalisation« ; voici un retour sur la montée du populisme dans le monde et la manière dont il confisque le pouvoir.
Mobiliser le plus grand parti de notre pays , celui des abstentionnistes est le grand défi des prochaines échéances électorales. Le choix d’une série d’articles autour d’une démocratie fatiguée, mais toujours en mouvement, et du populisme, un des traits marquants du début de ce siècle avec ses multiples visages répond au souci de s’inscrire dans cette conjoncture. L’objectif est, également, d’apporter un éclairage sur l’histoire récente de la vie politique du Maroc et son moment populiste. Il s’agit du regard d’une économiste souhaitant remettre le politique avant l’économique. Un devoir de lucidité.
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Le monde est entré dans un cycle populiste après le cycle progressiste qui a caractérisé l’après seconde guerre mondiale jusqu’aux chocs pétroliers 1973-1976 et le cycle libéral du début des années 1990 ; celui-ci a commencé après la chute de l’URSS et est symbolisé par les politiques libérales de Donald Reagan et Margaret Thatcher.
Ces politiques ont réduit la capacité des gouvernements à lutter contre les inégalités ainsi que leur capacité à fournir aux populations des services essentiels. Le cycle libéral se prolonge jusqu’à aujourd’hui mais la pandémie semble poser les jalons d’un nouveau cycle où les hypothèses sont nombreuses sur les plans politique, économique et social.
Le pic du cycle du populisme est constitué par le vote du Brexit et l’élection de Donald Trump en 2016.
Qu’est-ce qui explique le passage d’un cycle à l’autre ? La réponse combine des dynamiques croisées sur les plans économique, géopolitique et socio-culturel. Les déséquilibres provoqués par la mondialisation et la crise financière de 2008 se combinent avec les questions géopolitiques qui ont modifié les relations Occident/anciens pays du tiers monde dont certains sont devenus émergents: l’invasion de l’Irak et l’intervention en Afghanistan figurent parmi les questions qui ont ravivé le sentiment anti-impérialiste américain sans oublier la question palestinienne et l’extension de l’Islam politique….
Il faut ajouter aussi la problématique culturelle due notamment aux phénomènes migratoires. Autant de dynamiques qui se passent dans le cadre de la révolution numérique qui n’est pas que technologique ; il s’agit d’une révolution des pouvoirs où les cartes sont rebattues. Le numérique donne la capacité d’auto-organisation qui permet de dépasser le monopole des organisations collectives, partis politiques, syndicats, associations économiques etc.
La crise inédite provoquée par le coronavirus, par un effet de loupe, a montré les limites des gestions populistes dont la dangerosité est illustrée par les conditions de départ de Donald Trump, un archétype du populisme anti démocratique ou encore par la gestion désastreuse de la pandémie comme celle du Président du Brésil, Jair Bolsonaro, qui illustre le déni de la valeur de l’expertise et toute approche scientifique. Un populisme qui considère que la démocratie ne sait plus gouverner.
Populisme et démocraties illibérales
La démocratie libérale, triomphante après l’échec du communisme, est vacillante même dans ses sanctuaires occidentaux, Amérique du Nord et Europe. Un fait têtu en est l’expression : la montée des populismes dont les nuances n’occultent pas la lame de fond, celle d’un courant anti- libéral.
Le terme démocratie ne renvoie plus à la démocratie libérale puisqu’il y a des démocraties qualifiées d’illibérales ; le mot libéral est entendu dans le sens de la défense des valeurs de base telles que la liberté d’expression, la séparation des pouvoirs et la protection des droits individuels ; le mot démocratie recouvre un ensemble d’institutions électorales obligatoires qui traduit, dans les faits, la volonté populaire en politiques publiques et qui suppose donc des élections libres et justes (Yascha Mounk) ; ce libéralisme institutionnel et la démocratie sont les deux facettes d’une même médaille et formaient un tout cohérent.
*Les destins du libéralisme et de la démocratie sont- ils toujours liés ?
Est- ce que la démocratie libérale fonctionne de manière démocratique ? La démocratie libérale subirait une double menace qui constitue la grille de lecture de Mounk : « Nous assistons à la naissance de démocraties antilibérales, ou démocraties sans libertés et d’un libéralisme antidémocratique ou libertés sans démocratie. Il s’agit d’une grande divergence entre, d’une part, l’Etat de droit qui garantit les libertés individuelles et, d’autre part, la démocratie réduite au minimum de ce qui doit être la traduction de la volonté populaire en politiques publiques : les libertés individuelles sont préservées mais les citoyens ont moins d’influence sur les décisions politiques qui relèvent d’institutions non élues ; les Banques centrales omnipotentes sont une illustration de la perception du transfert du pouvoir des élus vers une caste d’experts.
L’émergence des démocraties illibérales est liée à l’arrivée au pouvoir des partis populistes. L’étude du populisme s’est longtemps concentrée sur l’action contestataire de ses hérauts et le style démagogique de ses leaders. Aujourd’hui, les populistes sont au pouvoir dans les anciennes démocraties qui semblaient consolidées et dans les démocraties récentes en cours de construction. La question qui se pose est l’avenir de la démocratie représentative qui invite à repenser nos catégories d’analyses pour la phase de leur conquête du pouvoir comme pour celle de son exercice où l’enjeu est de voir si le populisme est soluble dans la démocratie ou s’il est un passage à l’autoritarisme.
Le populisme inquiète parce qu’il a prospéré ! Il se diffuse et se globalise. Tous les continents sont concernés dont certains cas sont emblématiques : Pologne, Hongrie, Brésil, Venezuela, Turquie, Inde, Russie, Pakistan, Philippines Thaïlande….
Le mot populisme est étudié par plusieurs disciplines : sciences politiques, sociologie, histoire, anthropologie et même économie. On peut partir de l’idée que « le populisme est l’expression d’un mouvement global qui se cristallise de manière différente dans chaque pays. Même si les circonstances historiques et les contextes nationaux sont différents, il est possible de dégager quelques caractéristiques de la rhétorique de base du populisme.
*Le populisme a-t-il une idéologie ?
Il n’y a pas d’idéologie qui fonde le populisme comme le socialisme ou le libéralisme. Le trait fondamental du populisme est d’avoir la prétention d’incarner le peuple ; sa revendication constante consiste à affirmer : nous-et seulement nous, représentons le peuple ; mais qui est le peuple ? Ce qui est problématique, ce n’est pas l’appel mais la conception du peuple : un véritable peuple uni autour d’une ethnicité, d’une religion ou de convictions politiques partagées, répondent les populistes !
Le leader populiste est celui qui a la capacité d’entendre et de comprendre le peuple et donc de le représenter ; le peuple est donc une entité homogène dont il est le dépositaire ce que Jan-Werner-Muller nomme « le monopole moral de la représentation » (peuple homogène et volonté unique).
Il en résulte que l’objectif du politique revient seulement à exprimer la volonté du peuple et non à la construire; or le concept de peuple est inhérent à la démocratie, démos signifiant peuple : gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple. Tous les membres du corps social sont citoyens et concourent à la formation de la volonté générale quels que soient leur origine ou leur statut social, un acquis après des siècles de luttes sociales et politiques.
La politique de l’élection des représentants permet de construire, non pas LE peuple, mais un peuple plutôt qu’un autre et non un peuple fantasmé et tous ceux qui contestent la revendication au monopole n’appartiennent pas au peuple ; d’où l’hostilité à l’encontre de la démocratie et des institutions démocratiques qui ne portent pas au pouvoir la majorité silencieuse ; cette hostilité s’exprime à travers deux exclusions :
– l’exclusion de toute opposition impliquant l’illégitimité des autres partis considérés comme pourris corrompus et traîtres à la nation. La communication entre le leader populiste et le peuple est directe : le populisme est anti pluraliste.
-l’exclusion des élites politiques qui dirigent les gouvernements, des technocrates instruits et arrogants, des médias instruments de contre- pouvoir et porte-paroles de puissances étrangères. Une dichotomie peuple versus élite : le populisme est anti élitiste.
Ces postures, combinées à un style d’action, en particulier le déni de la valeur de l’expertise, confèrent au populisme une démarche qui consiste à simplifier la résolution des questions complexes qui se posent au niveau national et international : inégalités de revenus et de patrimoines, fracture sociale et déclassement des classes moyennes dans les pays avancés et frustration de celles des pays émergents, phénomènes migratoires au niveau international, dérèglement climatique, turbulences géopolitiques, course à l’hégémonie mondiales, changement de paradigmes avec la révolution numérique ….
Le bon sens en est la clé parce que la simplicité séduit ! Il est plus rassurant de vendre un message simple que compliqué surtout en utilisant l’argument de la corruption des élites politiques ou encore celui de l’interférence des intérêts étrangers : pour arrêter l’immigration, il suffit de construire des murs, pour lutter contre le chômage causé par les délocalisations, il faut interdire les importations des pays en question ou encore la lutte contre le réchauffement climatique est une vue de l’esprit des scientifiques etc…. l’histoire récente a montré le risque des solutions simples qui exacerbent les problèmes et se traduisent par le renforcement des régimes autoritaires . La pandémie a mis à nu cette démarche simplificatrice !
Le fond commun du populisme n’empêche pas la distinction entre un populisme de droite et un populisme de gauche, un sujet qui sera traité dans le prochain article.
Source: Le Moment populiste du Maroc (III): Démocratie en crise et populisme dans le monde