Nouveau modèle de développement pour le Maroc : Quelques pistes alternatives
Ce texte se propose de présenter, à grands traits, le cheminement qui nous a guidé dans l’évaluation du modèle de développement actuel à travers quatre axes ;ceux-ci présentent également des pistes pour l’élaboration d’un nouveau modèle suite au discours de Sa Majesté Mohammed VI ; Deux points de conclusion seront présentés : les lieux idoines pour l’élaboration du modèle de développement et la question cruciale de sa mise en œuvre ;ils constituent des enjeux pour penser ce nouveau modèle.
Premier axe :
Le modèle de croissance est au cœur du modèle de développement
ce sont ses non performances sociales : chômage, précarité, pauvreté inégalités, qui ont imposé de le repenser ; l’angle d’attaque a consisté à partir de l’idée que la répartition équitable des fruits de la croissance est la voie de la réduction de ces inégalités sauf qu’il faut d’abord réaliser cette croissance pour avoir quoi redistribuer or notre modèle de croissance comporte des paradoxes : les deux moteurs de la croissance, investissement et consommation sont puissants mais ne fonctionnent pas et la croissance peine à atteindre le seuil minimal de 6% nécessaire pour générer suffisamment d’emplois et créer des richesses
1-Le taux d’investissement est élevé, de l’ordre de 30% mais il contraste avec une faible croissance de 3 à 4% en moyenne ; ce décalage est révélateur de facteurs structurels de blocage de la croissance qui ont pour noms : inefficacité de l’administration, limites du système éducatif et faible adéquation formation emploi, non convergence et non intégration des stratégies sectorielles, économie de rente, bref autant d’éléments d’un diagnostic connu et reconnu !
2- la consommation ne tire pas la croissance alors que le modèle actuel est basé sur le marché intérieur or la consommation est satisfaite en grande partie par les importations qui concernent les biens de consommation mais surtout les consommations intermédiaires ; le calcul avait été fait par le CNCE: la moitié des intrants qui permettent de produire sont importés et taxés ce qui met à mal la compétitivité sur le marché domestique soumis au secteur informel sans taxes ni législation sociale. Ce constat soulève bien entendu la question de la reconquête du marché intérieur ? Vaste programme, celui de la compétitivité prix et qualité et de la lutte contre l’informel qui concurrence le secteur industriel dont plusieurs usines ont fermé
On est donc parti des paradoxes d’aujourd’hui pour essayer de définir le modèle alternatif de demain
Quels sont alors les facteurs de croissance qui s’imposent ? 3 sont privilégiés :
1-le rattrapage du niveau de productivité de la main d’œuvre faible par rapport aux pays de la région qui passe par la formation, la motivation et le civisme et par le rattrapage du niveau technologique: c’est la première manière d’obtenir de la croissance à long terme !
2- la recherche/développement et l’innovation
3-l’exploitation de l’aubaine démographique.
A partir de ces facteurs ,deux vecteurs de croissance créer une base productive avec un secteur industriel articulée aux demandes des autres secteurs en produisant des biens échangeables l’immobilier produit des biens non échangeables et le tourisme n’est pas une baguette magique : deux clés de succès : l’intégration du tissus productif pour créer de la valeur ajoutee locale et le transfert de technologies pour depasser le stade de la sous traitance
Tel est le sens de la mise en cohérence des stratégies sectorielles qui doit s’opérer dans le cadre d’ une vision à moyen terme, une sorte d’itinéraire, pour éviter de parler de plan,( mal nommé ajoute aux malheurs du monde Camus) , un itinéraire pour tenir compte des contraintes qui pèsent sur toutes les ressources naturelles, financières et humaines ; ) comme on ne parle plus de tableau des échanges intersectoriels de Leontief qu’il faut noircir , on parle d’écosystème alors il s’agit de construire un Écosystème au niveau national avec des échanges entre grandes entreprises et PME de tous les secteurs il s’agit aussi de faire émerger des secteurs nouveaux dont le potentiel en faveur de la croissance économique est avéré ; on est sur la bonne voie pour les énergies renouvelable avec une montée en valeur dans la filière industrielle et en retard pour l’économie digitale .
II- Le 2ieme axe concerne un enjeu déterminant du modèle de croissance, celui d’une croissance égalitaire homme /femme ; le constat est admis : Le potentiel des femmes est une ressource inexploitée pour la promotion d’une forte croissance. Au Maroc 26,7% sont en activité contre 51% en Indonésie et 64% en Chine à titre d’exemple alors que Leur niveau d’études a progressé dans tous les cycles de l’enseignement.
Le coût de l’inaction dans ce domaine est élevé et c’est un champ de recherche de plus en plus investi ; plusieurs évaluations ont été faites notamment par des organisations internationales et des cabinets de consulting
Que faire et Comment?
Des lois spécifiques et des stratégies dédiées et résolues sont indispensables ; pourquoi il faut des lois ? Parce qu’elles sont adoptées par le parlement et permettent de sanctionner le non-respect de l’obligation ; il ne s’agit pas de féminiser la démocratie seulement mais aussi l’économie, les organes de prise de décision, le top management, la création d’entreprises etc…
Le troisième axe concerne le nouvel Etat pour un nouveau modèle de développement
Une économie libérale n’entraine pas l’abdication de l’action publique ; bien au contraire la libéralisation a son corollaire c’est la régulation et les crises ont bien montré que l’économie de marché ne peut pas s’autoréguler ; la régulation est à géométrie variable et chaque pays a son mode opératoire et Chaque pays a une configuration institutionnelle donnée qui fait que les modèles ne sont pas transposables.
Cette configuration résulte de l’interaction entre la sphère économique et la sphère politique et juridique avec des institutions aussi diverses que complexes qui illustrent le flou de la notion d’institutions : Normes, valeurs, règles de droit, conventions, organisations, réseaux….. Mais aussi régime monétaire, politique de la concurrence autant d’institutions pour contrecarrer les effets négatifs de l’économie de marché.
Le mode de régulation de notre économie doit s’inscrire dans un nouvel âge, en particulier l’exigence est forte par rapport à la réforme de l’administration qui ne peut plus rester en retard par rapport au monde des affaires, aux investisseurs privés, on attend de l’Etat qu’il réforme mais pour cela il faut qu’il SE réforme : trois champs prioritaires :
l’Etat doit être le terrain d’affirmation de la bonne gouvernance en commençant par la lutte contre la corruption qui augmente le coût de l’investissement et nécessite des mesures énergiques et novatrices; le chef du gouvernement vient d’annoncer un coût de 5% du PIB ; l’enseignement le plus significatif, source d’inspiration pour les autres pays asiatiques est celui de Hong Gong qui a réussi à extirper ce fléau ; deux clés de succès 1- la connivence entre la sphère politique et les milieux d’affaires par exemple le cadre légal qui définit les délits concerne le secteur public ET le secteur privé 2- la sensibilisation de la population jusqu’à obtenir sa participation active à travers la surveillance et les dénonciations ; il faut préciser que le succès de cette politique a demandé de longues années de persévérance, le temps nécessaire pour qu’une population change de culture et ne tolère plus la corruption .
Cela suppose aussi un bien- être , une société de confiance et donc une confiance dans l’avenir !il revient donc à l’Etat d’insuffler un climat de confiance et c’est le 2ième champ prioritaire, un climat de confiance pour l’investissement et la création d’emplois: comment instaurer une relation de confiance entre le citoyen et l’administration ? Comment construire une société de confiance car la confiance ne se décrète pas, elle se construit !
L’enjeu est d’identifier comment les politiques publiques peuvent modifier le niveau de confiance mutuelle et de voir aussi comment les institutions influencent les valeurs de coopération. 2 chemins sont possibles et ils se rejoignent
-une administration agile, des règles du jeu transparentes et assumées : la régulation par les instructions, les circulaires et les commissions pour renvoyer les problèmes à l’échelon hiérarchique supérieur est désuète, surannée ; une révolution culturelle qui touche les valeurs , les fondements du service public est impérative et elle est possible, l’OCP l’a fait parce que le diagnostic posé était juste ,il n’était pas question de recenser les dysfonctionnements et de mettre en face des recommandations, le problème était global et systémique et la réponse a été à la hauteur de ce diagnostic ! c’est ainsi que l’OCP est devenu un outil précieux au cœur des intérêts stratégiques du Maroc
Le 2 ième chemin est une organisation des territoires avec une répartition des pouvoirs décisionnels afin que chaque citoyen ressente la place qui lui est dévolue. Le nouveau modèle doit être l’expression d’un service public résolument déconcentré car les acteurs du terrain sont à même d’apprécier les actions pour répondre aux besoins et attentes de citoyens des citoyens de plus en plus connectés
Mais en même temps le citoyen doit être conscient de sa responsabilité qui inclue droits et devoirs
Le 3 ième champ du nouvel Etat et non le moins important consiste à identifier le mode de partage du surplus social entre les groupes qui ont contribué à sa production ; il s’agit donc de stabiliser les rapports sociaux pour développer la production, l’échange et donc la croissance.
Ce survol, même s’il est hélicoptère, montre que le défi est d’installer la croissance économique sur une trajectoire ascendante afin que le stade de développement acquis ne reste pas précaire et menacé ; l’ambition est de le protéger et de s’engager dans une nouvelle étape : on n’acquiert que ce qu’on dépasse !
Mais il montre surtout la complexité de la question du développement qui impose une approche pluridisciplinaire et c’est notre 4ième Axe ; une approche qui consiste à échanger les connaissances, à partager les concepts, à croiser les méthodes, les outils d’analyses pour faire interagir, l’économie, la politique, la sociologie, la psychologie et bien d’autres disciplines des sciences sociales.
Quel est l’objectif ultime d’une telle démarche ?
Comprendre le comportement humain les sources des décisions, les intentions des acteurs ! C’est encore plus compliqué avec le moi numérique omniprésent et qui soulève de multiples questionnements
1 A l’ère du numérique qui a modifié les rapports de pouvoir, jusqu’où va le pouvoir des réseaux sociaux ? La réponse à cette question ouvre le champ complexe du processus de construction de l’opinion publique, sa compréhension et son influence, un vrai défi car il s’agit de s’adresser à chacun pris individuellement et la parole remonte de l’individu à l’ensemble de sa communauté
2-quelle est la relation pouvoir/communication dans une société de communication où les contenus et l’expertise ne sont plus l’essentiel et où la communication est érigé en clé de succès : un véritable enjeu où tout est devenu communication !
3-Comment accompagner ces transformations à l’œuvre et bien d’autres car nous vivons une métamorphose présentée comme une révolution pour l’adoucir , une révolution est conçue et voulue ; or il s’agit de plusieurs révolutions qui ne sont ni conçues , ni voulues ; elles se produisent de façon silencieuse : pas un secteur n’échappe à la disruption mot qui caractérise aujourd’hui le numérique en combinant au moins trois notions :rupture chamboulement, et surtout révolution ,brutale et inéluctable ; si au départ elle était technologique, aujourd’hui elle est :
–sociale, bouleverse nos interactions avec les autres,
-sociétale dans la mesure où elle transforme notre façon de vivre
-culturelle car le partage d’idées et d’opinions engendre de nouvelles idées et un changement de comportement ;
-elle est même anthropologique car elle nous incite à redéfinir les valeurs humaines,
et enfin elle est économique car il y a un changement du processus de création de valeurs et des richesses : pas de barrière à l’entrée, annulation des couts de transactions, cout marginal qui tend vers zéro et les technologies sont disponibles gratuitement : un vrai changement de paradigme !
La montée en puissance du digital est une évidence mais de quelle manière le Maroc s’y est inscrit ? il s’y est inscrit par la consommation de produits importés et non par l’investissement dans le secteur des technologies de l’information alors que c’était possible : je me permets un témoignage ,un rendez- vous manqué, celui de l’opportunité de créer une technopole , une sorte de Silicon vallée à Bouznika sous le gouvernement Youssoufi pour attirer les IDE dans le secteur des TIC : tout a été fait :étude de faisabilité , acquisition d’un terrain de 200ha, financement du fonds Hassan II, maquette et surtout un accord de partenariat signé avec MultiMedia super Corridor de la Malaisie qui est la version asiatique de la silicon vallée Lors de l’organisation au Maroc en 2000 du congrès de l’UIT, union Inter des telecomm des accords ont été signés avec de grands groupes dont le Chinois Huawei ; des contacts avaient été pris pour la formation d’un conseil scientifique où devaient participer Bill Gates et Winton Cerf un des pères fondateur d’internet.
Un second RDV manqué qui illustre aussi la désaccumulation et la perte du capital matériel et immatériel qui ralentissent le rythme du développement est celui du CNCE qui, avant sa mise en veilleuse, avait opéré sa mue pour se positionner comme outil de veille et d’intelligence économique en s’appuyant sur de nouvelles solutions de stockage et de traitement des données ; au-delà de la finalité de décrypter l’actualité pour en dégager les menaces et les opportunités, le défi a été de s’inscrire dans l’ère du « big data » de l’information , des données massives devenus le pétrole du 21e siècle ! la question qui se pose aujourd’hui est :
Comment gérer l’épreuve de la digitalisation en tenant compte de la dynamique exponentielle du progrès numérique
Il est vrai que lorsqu’on part avec du retard c’est toujours plus compliqué et le risque est de rester dans un perpétuel rattrapage mais cette révolution n’est qu’à ses prémices car l’intelligence artificielle et les objets connectés vont profondément modifier la donne ;pour cela il faut une initiative de l’Etat et un volontarisme appuyé pour créer une synergie entre tous les acteurs du digital : entrepreneurs, investisseurs, capitalistes risqueurs , fonds de développement, ingénieurs , développeurs , designers, grands groupes, opérateurs télécommunications, instituts de recherche et universités en mettant l’accent sur des formations qui s’inscrivent dans la société de la connaissance
il s’agit de construire avec tous ces acteurs au niveau régional à travers la création de Zones d’innovation dans toutes les régions ; une opportunité historique pour donner à la régionalisation avancée un contenu qui s’inscrit dans les industries/services d’avenir
Les questions qui nécessitent une approche pluridisciplinaire sont certes liées au numérique qui bouleverse tout mais les questions traditionnelles persistent :
- Quelle est la réalité socio culturelle du Maroc ?
- -Comment apprécier le rôle des solidarités familiales et surtout leur devenir ?
- Qu’en est-il de la sociologie des dirigeants, de la nouvelle génération d’entrepreneurs
- comment appréhender les institutions informelles réfractaires au changement (normes, croyances, règles du jeu traditionnelles)
- Ya-il des catégories dans la classe moyenne ? Comment les identifier ?
- Quelle est la nature de notre capitalisme et quelle est la place du capitalisme familial ?
La liste est loin d’être exhaustive
Un exemple pour illustrer la complexité des questions qui se posent, il concerne la lancinante question du chômage des jeunes diplômés qui cristallise la diversité des mécanismes en jeu ; la question ne peut être ramenée à l’inadéquation formation- emploi ; l’explication est plus complexe : lente transformation structurelle de l’économie, gouvernance inadaptée, manque d’enquêtes sur le terrain pour identifier les perceptions des populations concernées,
Le croisement des compétences est une des clés pour accéder à l’énigme du développement en rappelant avec humilité que les économistes n’ont pas tous les attributs pour comprendre un pays mais ils ont les outils, les instruments qui peuvent aider à le changer !Enjeux pour l’élaboration et la mise en œuvre du modèle de développement
Parmi les lieux privilégiés pour l’élaboration d’un nouveau modèle de développement mais qui restent à inventer figurent les Think Tanks affiliés à des partis politiques à l’instar de ce qui existe ailleurs ; ce sont des centres de réflexion orientés action car après la conquête de pouvoir il y a l’exercice du pouvoir qui doit s’inscrire dans une stratégie de changement qui ne peut pas être figée .
Un parti politique doit avoir une production dans la durée et pas seulement préparer tous les 5 ans un programme électoral ; il doit s’impliquer de manière assumée et à découvert à travers les publications, les appréciations des réformes, les manifestations de son Think tank ; le débat né alors de la confrontation des idées !
La spécificité du think tank politique est la recherche de l’influence sur l’électeur et moins sur les décideurs l’adhésion à une idée par l’opinion publique est nécessaire pour son exécution ; c’est le lieu idoine pour la consultation et l’expérimentation Il y a une économie politique des réformes soit une compréhension des conditions qui favorisent ou non l’application des réformes il y a toujours des perdants et des gagnants et les résultats ne sont pas immédiats ; *En Allemagne, la Friedrich-Ebert est proche du SPD et la Konrad Adenauer du CDU ; en France, la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol), l’Institut Montaigne, la Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques(IFRAP) sont liées à l’UMP ; la Fondation Jean-Jaurès et Terra-Nova relèvent du parti socialiste
– le second enjeu concerne la mise en œuvre du modèle de développement à travers le pilotage par les résultats, l’évaluation et le suivi des actions. L’évaluation n’est pas un objectif en soi. C’est un instrument de mise en œuvre, elle offre l’occasion de repérer les éventuels décalages entre les différentes composantes d’une stratégie. Suivi, évaluation impliquent des difficultés méthodologiques admises : études d’impact, d’efficience, de pertinence, de cohérence, tout dépend de l’objectif fixé.
Les réponses à la question de l’évaluation ne sont pas les mêmes dans tous les pays mais chacun a renforcé, à sa manière, ses capacités institutionnelles de suivi et d’évaluation avec une constante : une structure chargée de la gestion des résultats, par exemple un observatoire de l’économie et du développement avec des déclinaisons au niveau régional .Pour conclure, le succès d’un nouveau modèle de développement suppose un prérequis : le renforcement de la cohésion sociale qui rend acceptables et profitables les arbitrages et compromis aptes à résoudre les questions inhérentes à l’incontournable entreprise de changement : les changements ne sont possible que si la base est consentante.