Où en est le Nouveau Monde ?
Dans un contexte international marqué par des tensions géopolitiques et une compétition acharnée entre les grandes puissances, l’affrontement stratégique entre les États-Unis et la Chine façonne un nouvel ordre mondial. Ce duel, où se mêlent ambitions géostratégiques et avancées technologiques, pourrait déterminer l’avenir de la domination mondiale. Une analyse de Nezha Lahrichi, économiste, ex-conseillère du Premier ministre et ex-présidente du Conseil national du commerce extérieur.
Jamais le qualificatif VUCA pour qualifier un environnement « volatil, incertain, complexe et ambigu » n’a été d’une telle intensité, et ce, en faisant abstraction du conflit au Proche-Orient. Cependant, il y a une certitude qui structure le nouvel ordre mondial, celle du conflit stratégique entre la Chine et les Etats-Unis pour s’imposer comme :
- la puissance géostratégique et militaire dominante ;
- le leader de la révolution informatique, c’est-à-dire la mutation scientifique, technologique, énergétique, industrielle et logistique qui fait fonctionner la planète ; le numérique désigne les applications de l’informatique dans ses interactions avec les consommateurs.
Et pourtant la Chine a été absente du dernier débat présidentiel américain en septembre, alors que c’est la question centrale de la politique étrangère. Le fait de l’avoir ignorée est une preuve de la gravité de la menace qui constitue un point commun, un trait d’union des programmes des deux candidats.
La dynamique de rivalité entre une puissance dominante et une autre émergente est une vieille histoire qui remonte au conflit entre Athènes et Sparte et, plus proche de nous, l’Allemagne devenue au début du XXe siècle une puissance économique et militaire au cœur de l’Europe menaçant le Royaume-Uni, première puissance mondiale au XIX siècle.
Un peu d’histoire avec beaucoup de raccourcis, une façon de rappeler à quoi sert la connaissance du passé pour essayer de comprendre le présent.
L’idée dominante pour expliquer le retard du réveil de la Chine est son isolationnisme et le fait d’avoir manqué la révolution industrielle. L’écriture idéographique est peut-être le mythe le plus tenace qui entoure la civilisation chinoise, une écriture différente des systèmes alphabétiques et qui cristallise une certaine représentation de l’identité chinoise et de la manière de penser des Chinois. Après avoir endossé la responsabilité d’être un obstacle à la modernité scientifique de la Chine, l’écriture chinoise est aujourd’hui au cœur d’un nationalisme culturel conforté par la montée en puissance économique de la Chine. 180 pays proposent des programmes d’enseignement du mandarin, et le nombre de personnes dans le monde qui l’apprennent est estimé à 100 millions.
Cependant, il y a lieu de signaler une parenthèse de l’histoire, celle de la construction d’une grande flotte maritime au début du XVe siècle pour faire de la Chine une grande puissance maritime, mais le successeur de l’empereur visionnaire (Zhu Di) n’a pas compris les enjeux stratégiques de la maîtrise des mers. La flotte a été détruite jugeant son coût excessif, une décision renforcée par un environnement isolationniste, celui du Japon et de la Corée. Cette page de l’histoire qui remonte à six siècles reste une référence pour Xi Jinping.
L’ironie de l’histoire est que, au même moment, l’Occident a commencé son ascension. Bien plus, l’Angleterre, foyer de la révolution industrielle, a tenté de conquérir le vaste marché chinois, une tentative qui peut être illustrée par l’épisode de la guerre de l’opium. Il s’agit du juteux trafic de l’opium effectué par les marchands anglais, alors qu’en Angleterre l’opium est strictement interdit. La destruction des stocks d’opium a suscité une guerre dont le dénouement était évident, tant les côtes chinoises étaient nues sans navires de guerre ni ports fortifiés, ce qui a permis l’occupation de plusieurs villes. Une humiliation qui ne sera jamais oubliée, elle sera renforcée par celle de tous les Occidentaux, du Japon et de la Russie tout au long du XIXe et du XXe siècle
La suite est marquée par une impasse historique caractérisée par des soubresauts internes et des velléités de puissances étrangères. La Chine se trouvait alors dans un état de sous-développement avancé, qui lui valait le qualificatif de « l’homme malade de l’Asie ». C’était aux alentours de l’année 1900.
Il n’est pas possible, dans le cadre d’un article, de décrire la longue marche de la Chine, ponctuée par des hauts et des bas, vers une économie ouverte. L’essentiel est de noter que l’empire du Milieu est en train de prendre sa revanche et qu’il est possible de corriger, en quelques décennies, les dégâts causés par un ou deux millénaires.
L’adhésion de la Chine à l’OMC en 2001 a accéléré la mondialisation et a permis sa montée en puissance : en 1990, l’économie chinoise n’était pas classée dans le Top 10 des pays avancés. En 2010, elle s’est positionnée comme deuxième au monde après les Etats-Unis.
Aujourd’hui l’irruption de la Chine dans notre quotidien est une réalité, une Chine qui a recouvré sa fierté et compte bien prendre sa revanche en se projetant comme première puissance dans un monde globalisé. Le duel entre les deux puissances est marqué par des trajectoires et des systèmes de pensées totalement opposés :
- Le long et tumultueux chemin de la Chine tranche avec l’ascension fulgurante des Etats-Unis ! Près de deux siècles et demi relèvent du court terme en matière de développement économique et social.
- Si les principes de la culture chinoise sont basés sur la patience et la persévérance, faisant de toute négociation un long chemin qui privilégie le compromis, la culture nord-américaine est marquée par l’agressivité et l’esprit de domination, soit un système de compétition où le recours à la force n’est jamais exclu pour obtenir des résultats rapidement. La Chine incarne une civilisation millénaire et le long terme, les Etats Unis, la fulgurance et l’audace.
L’universalisme occidental n’étant plus admis, il ne reste plus qu’à espérer une gestion souple et pragmatique de la relation sino-américaine. Avant, les querelles entre puissances se réglaient sur le champ de bataille, de nos jours les guerres économiques sont qualifiées de froides. L’équilibre sino-américain ne se résume pas à une équation bilatérale comparable à la confrontation soviéto-américaine, d’autres pays jouent sur cet équilibre : est-il pertinent de garder le concept de guerre froide ?
En définitive, deux grandes nations s’affrontent, et leurs comportements seront déterminants pour l’avenir de ce Nouveau Monde !
Le paradoxe du Nouveau Monde appelé à évoluer
La seconde caractéristique du Nouveau Monde est paradoxale : il devient multipolaire et des dynamiques géopolitiques sont à l’œuvre, mais cela ne signifie pas qu’il y a déglobalisation et que la fragmentation géopolitique est synonyme de repli.
En effet, même si la mondialisation se transforme et même si trois blocs se constituent avec une diversification des chaînes de production à une échelle régionale, la croissance des échanges internationaux continue ; en particulier l’économie chinoise reste toujours étroitement imbriquée dans l’économie mondiale et bénéficie d’une demande croissante pour ses véhicules électriques produits à bas coût. Cette imbrication se renforce avec le retour de la Chine à une économie subventionnée et exportatrice pour pallier la faiblesse de son marché intérieur, une stratégie qui lui permet de bénéficier d’une demande croissante en particulier pour ses véhicules électriques, mais aussi ses panneaux solaires et ses batteries ; autant de produits cruciaux pour la transition énergétique.
La riposte américaine a été rapide, la décision de porter les droits de douane sur les véhicules électriques de 25% à 100%, annoncée au mois de mai, est effective depuis le 27 septembre 2024. Il est question de la compléter par l’interdiction de la circulation aux Etats-Unis des véhicules qui fonctionnent avec des logiciels et des équipements électroniques chinois.
D’autres pays comme l’Inde, le Japon, la Corée du Sud, la Turquie, le Brésil et le Mexique réagissent aussi et utilisent des barrières tarifaires et des politiques d’incitation à la production locale pour freiner les importations chinoises.
L’Union européenne n’est pas en reste. Elle applique depuis le mois de juillet une hausse des droits de douane, mène des enquêtes sur les subventions chinoises et vient d’imposer des droits compensateurs qui vont jusqu’à 45%, une procédure antidumping valable pour cinq ans, une durée supposée être le temps de rattrapage de l’industrie automobile européenne, sauf que la Chine ne manquera pas de mettre en place une politique de contournement en installant des usines en Europe. En attendant, la Chine n’est pas démunie de contre-mesures. Elle a imposé des tarifs douaniers sur plusieurs importations et des restrictions d’exportations dans l’aérospatiale. Si l’Europe a accru sa dépendance commerciale à l’égard de la Chine, les Etats-Unis l’ont diminuée !
Le retour des frontières est plus effectif pour les banques, en particulier les banques européennes qui cherchent à se positionner comme l’instrument financier de la souveraineté européenne. Elles ont réduit la voilure outre-Atlantique et sont à la recherche d’opportunités d’investissement dans les pays voisins.
En définitive, la naïveté des politiques commerciales, après l’adhésion de la Chine à l’OMC, a laissé place à plus de protectionnisme ; mais quelle est la probabilité du succès de l’arrêt de la machine à export chinoise ?
Autant d’éléments qui questionnent la nouvelle géographie des chaînes de valeur et la volonté de raccourcir les chaînes d’approvisionnement. La fragmentation des processus de production, la dispersion des fournisseurs à travers le monde n’ont pas cessé malgré les injonctions de relocaliser. C’est parce que les relocalisations ont un coût, et il s’agit constamment d’arbitrer entre le coût politique de la dépendance et le coût économique de l’autonomie.
La sécurité économique redessine le cadre des échanges internationaux, le protectionnisme s’affirme, le multilatérisme est vacillant. Partout, il y a une demande d’Etat, un Etat à missions. Le défi est de comprendre le fonctionnement néolibéral en cours, les désillusions profondes concernant le fonctionnement des démocraties dans leurs pays de naissance, et aussi dans un grand pays comme l’Inde. L’aboutissement des élections américaines sera un nouvel élément de réponse à la marche du monde
Comme l’a si bien dit une femme, la physicienne Marie-Curie : « Il n’y a rien à craindre, tout est à comprendre ».
Source Medias24 : Où en est le Nouveau Monde ?