Un nouveau business model pour les think tanks en Afrique

Professeur Nezha Lahrichi
Un nouveau business model pour les think tanks en Afrique

nezha lahrichi

Nezha Lahrichi
Ancienne conseillère et présidente du Conseil national du commerce extérieur.

 

Le sommet des think tanks africains, organisé par OCP policy center, a démontré le rôle central des think tanks pour penser le développement de l’Afrique. Ce label, une appellation d’origine non contrôlée, a acquis un prestige tel que de nombreuses institutions font office de think tanks et produisent des études et alimentent la réflexion.

Les think tanks sont difficiles à définir, le meilleur moyen est de s’attacher à ce qu’ils font.

Aujourd’hui le contenu et le format des projets politiques se décident avec l’aide de ces laboratoires d’idées (encadré 1).

Ce mode de production intellectuelle est concurrencé par les bureaux d’étude qui ont développé des centres d’expertises sur les politiques publiques et sont consultés de manière croissante par les gouvernements. Les défis de l’Afrique imposent une dynamique nouvelle d’implantation de plateformes en mesure de produire une réflexion endogène en impliquant différents acteurs locaux et en canalisant les apports de la diaspora. Il ne s’agit pas de créer des centres de réflexion académiques, mais d’imaginer des structures d’analyses et de réflexion pour que l’action soit la traduction des propositions en politiques publiques applicables. Ce rôle est d’autant plus difficile que nous sommes dans un monde en pleine métamorphose avec un terreau de contestation similaire dans tous les pays: caractère plus visible des inégalités, frustration des jeunes, perception d’un manque de démocratie.

Ces risques vont avoir une influence plus forte sur les équilibres macro-économiques, car il y a une interconnexion croissante entre variables économiques et politiques.

Le rôle des think tanks est aussi bien d’éclairer la réalité que d’identifier à l’avance  les nouveaux défis, d’où l’importance de leur organisation.

Les think tanks doivent permettre la rencontre de personnes d’horizons différents en dehors du monde académique: chefs d’entreprises, représentants de la société civile, militants, conseillers médiatiques, experts, avec le souci constant de développer des idées innovantes adaptées au contexte socio culturel africain et bousculant les idées reçues. Le défi est de générer des idées originales et des options politiques convaincantes

La réflexion académique est certes nécessaire, mais doit être pluridisciplinaire avec une équipe de chercheurs diversifiés: économistes, politologues, sociologues, historiens, anthropologues et experts nationaux et étrangers.

L’utilisation créative d’internet permet un renouvellement des modes de réflexion à travers l’avènement de structures transversales et la coopération entre instituts. Hormis cette fonction centrale, d’autres missions sont possibles:

– Rôle pédagogique autour de la formation des élus,  de l’éducation du citoyen, du recrutement des élites: repérer les jeunes prometteurs, les soutenir et les former pour en faire un réservoir d’experts prêts pour la prise de responsabilité.

 Rôle de relais d’opinion à travers la réunion de l’élite économique, politique et médiatique. La démarche rénovée des think tanks consiste à en faire des lieux de rencontre des décideurs pour débattre de manière informée d’idées avec l’ambition de tester de nouvelles approches.

Les think Tanks africains  doivent relever plusieurs défis. Outre le financement, nerf de la guerre, il s’agit, d’une part, de trouver des talents pour l’innovation, la réflexion personnelle et, d’autre part, de réaliser l’équilibre entre le court /moyen terme et le long terme, entre le besoin d’impact court et l’impératif de réflexion. Mais surtout, il s’agit d’organiser une communication efficace en termes d’impact politique à travers la diffusion des idées, en utilisant un langage simple et clair et en utilisant plusieurs canaux: radios, chaines de télévision,  débats en colloques, réseaux sociaux etc…. L’accent doit être particulièrement mis sur le rôle des médias, amplificateur des missions et des messages des think tanks qui doivent comprendre leur agenda pour une communication efficace.

Last but not least, il s’agit de relever le défi du numérique en mettant à profit ses atouts aussi bien au niveau de l’input, puissance du big data, logiciels de modélisation, capacité de gestion de grandes bases de données statistiques, intelligence artificielle… que de l’output et de la présentation des livrables qui doivent être simples et ne peuvent plus se limiter aux traditionnels rapports: à l’ère du tweet, la complexité n’est plus éligible! (encadré 2)
africa-summit
Parmi les lieux privilégiés pour l’élaboration des stratégies de développement des pays africains figurent les think tanks affilés à des partis politiques. En effet, un parti politique est un lieu où se réalise une alchimie complexe entre des idées, une stratégie de conquête de pouvoir et des plans d’actions pour l’exercice du pouvoir. Les objectifs sont multiples: répondre aux attentes de la population, établir la crédibilité de l’action partisane et renforcer le nombre des adhérents en exploitant particulièrement le numérique, nouvelle arme de repolitisation du citoyen. Un parti politique producteur d’idées est un plus pour la démocratie, dans la mesure où il s’implique de manière assumée et à découvert, à travers les publications et les manifestations de son think tank: le débat né alors de la confrontation des idées! Dans cette phase de construction démocratique, un axe déterminant est celui du marketing politique pour augmenter le taux de participation des citoyens aux élections. Les incitations traditionnelles à voter n’ont pas permis de toucher jusqu’à présent le plus grand parti, celui des abstentionnistes . L’enjeu est de définir une pratique politique à l’ère du numérique et d’imaginer une forme sophistiquée de marketing politique. Celui-ci dérive de plus en plus du marketing commercial qui tente de comprendre les mécanismes cognitifs du cerveau humain. L’objectif étant de concevoir des stratégies efficaces pour l’implication et donc l’adhésion aux idées par l’opinion publique. La mise en œuvre d’une politique dépourvue du soutien de l’opinion est de nos jours contreproductive!

Au Maroc, Le Conseil national du commerce extérieur (CNCE), avant sa mise en veilleuse, avait opéré sa mue pour se positionner comme outil de veille et d’intelligence économique au service de la compétitivité du pays, mais aussi comme think tank à travers notamment deux dispositifs articulés:

− Une plateforme de veille qui couvre tout le processus de gestion de l’information et dont la finalité est de décrypter l’actualité pour en dégager les menaces et les opportunités, dessiner les tendances des relations économiques internationales et situer, ainsi, les enjeux essentiels; une façon de permettre au Maroc de ne pas rater le virage du « big data » de l’information.

− Une plateforme de business intelligence, soit un système d’information décisionnel basé sur des solutions de données extraites de différentes sources et centralisées après avoir été structurées, organisées et constamment actualisées. Ces solutions permettent d’avoir une bibliothèque d’indicateurs prêts à l’emploi. l’objectif de ce dispositif était de permettre d’accélérer la production des analyses et des études du CNCE: études d’évaluation de l’efficience des politiques publiques, analyses pour éclairer les décideurs sur les problématiques liées aux échanges internationaux et enfin recherches pour formuler des propositions qui génèrent des options de politiques innovantes. Bref, un outil pour contribuer au processus de formation des politiques publiques et en mesurer les effets. En outre, cette plateforme est à la pointe des technologies de visualisation des données avec une flexibilité qui permet une lecture rapide et pertinente du sujet présenté: ce qui permet de comprendre facilement et de visualiser simplement!

  • Encadré 1: Les think tanks politiques  
  • Encadré 2: Le CNCE, une expérience marocaine de renouveau d’un think tank mixte


Source : https://www.medias24.com

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